Comment chauffer son saké ?

Comment chauffer son saké ?

20 March 2025Siméon Molard

Le saké japonais, comme le monde, se divise en deux catégories : ceux qui sont meilleurs consommés frais et ceux qu’il faut faire chauffer. Et comme le monde, c’est aussi plus complexe que cela…

Dans cet article, nous allons parler des températures de dégustation, de la manière de chauffer son saké, des instruments de chauffe pour le saké, de la bonne température à choisir et de la raison pour laquelle il existe du saké chaud.

Comprendre le saké et ses températures de dégustation

Il est rare de faire chauffer une boisson alcoolisée. Il est encore plus rare de la consommer telle quelle. Le vin chaud comporte l’ajout d'épices, les cocktails chauds sont… des cocktails. Et pourtant, le saké chaud se consomme "pur", sans avoir à ajouter quoi que ce soit. Spoiler alert : en plus, le saké chaud est délicieux…

Mais attention aux généralités : tous les sakés ne se font pas chauffer.

Les différents types de saké et leur réaction à la chaleur

Peut-on chauffer tous les types de saké ?

Le monde du saké est composé d’une multitude d’exceptions, et ce que nous allons écrire ici n’est pas applicable à tous les sakés. Toutefois, on peut observer quelques tendances générales. Les sakés traditionnels sont meilleurs chauds, tandis que les sakés aromatiques sont meilleurs dégustés frais.

Par sakés traditionnels, nous entendons les sakés de type Junmai (sakés purs, sans ajout d’alcool distillé) avec une bonne présence en bouche. Ce sont des sakés de corps, par opposition aux sakés aromatiques. La distinction entre ces deux familles repose sur le taux de polissage du riz.

Indiqué au dos de l’étiquette, le taux de polissage mentionne le pourcentage de riz restant. Ainsi, si la valeur est faible (60 % et moins), le riz aura été fortement poli avant brassage, ce qui donnera généralement un saké léger aux arômes floraux et fruités. Puisque le riz a été poli, il marque moins de son empreinte le saké. C’est alors la levure utilisée qui s’exprimera davantage, offrant des arômes éloignés du riz.

Si le taux mentionné est élevé (70 % ou plus), le riz marquera davantage le saké, avec un côté céréalier plus prononcé, une plus grande présence en bouche, davantage d’acides aminés et plus de corps. C’est généralement parmi ce type de saké que l’on trouve les meilleurs candidats pour être consommés chauds.

Junmai, Honjozo, Daiginjo, Nigori – quel saké chauffer ?

En suivant cette logique, un saké Junmai (ou Honjozo) résistera mieux à la montée en température. À l’inverse, un saké Ginjo ou Daiginjo perdra de son intérêt s’il est chauffé. Les Nigori peuvent également être excellents consommés chauds.

Mais d’où vient cette habitude de chauffer le saké ?

L’histoire du saké chaud dans la culture japonaise

À l’inverse de notre époque, le saké consommé chaud a longtemps été la norme au Japon. Il est mentionné dans certains textes de loi, tel que l'Engishiki (Xe siècle), que le saké doit être consommé chaud lors des cérémonies, sauf en été. Cette pratique s’est perpétuée jusqu’au XVIIIe siècle, contribuant à la tradition du saké.

Chauffer le saké permettait d’adoucir son côté rugueux et pouvait agir comme une pasteurisation avant l’heure, limitant les risques sanitaires pour les consommateurs.

Avec le temps, et plus encore au XXe siècle, le riz a été davantage poli afin d’affiner le saké et de mettre en valeur ses arômes. Parallèlement, les recherches sur les levures de saké et les techniques de fermentation à basse température ont permis d'élaborer des sakés au profil aromatique, aux parfums fruités et floraux. Ces arômes ne supportent pas la chaleur et sont meilleurs consommés frais : ce sont les sakés modernes.

Pourquoi chauffer son saké ?

Aujourd’hui, les problèmes d’hygiène et les risques sanitaires sont (quasiment) inexistants. On chauffe son saké pour l’adoucir, pour accompagner des plats chauds, pour mettre en avant la saveur umami… Pour toutes ces raisons, les sakés de corps, conçus pour accompagner la nourriture, sont souvent meilleurs chauds.

En consommant un saké chaud avec un plat chaud, on évite également les différences de température, ce qui facilite la digestion et réduit la fatigue digestive.

Certains sakés industriels ou de mauvaise qualité sont aussi recommandés chauds, mais pour une toute autre raison : les chauffer permet de masquer leurs défauts et les rend plus faciles à consommer. C’est à cause de ces sakés que le saké chaud peut avoir une mauvaise image. Bonne nouvelle : vous ne trouverez aucun de ces mauvais sakés chez nous !

Mise en valeur des arômes

Comment la chaleur modifie et intensifie certains arômes.

Amplification de la saveur “umami”

Lorsqu'il est chauffé, le saké révèle davantage ses notes riches en umami, dû aux acides aminés issus de la fermentation du riz. Cela rend le saké plus rond et savoureux, idéal pour accompagner des plats riches, mijotés et gourmands.

Atténuation de l’alcool et des saveurs vives

Le réchauffement du saké réduit souvent la perception de l’alcool en bouche et atténue les notes vives ou acides, rendant le saké plus doux et accessible. C’est particulièrement le cas pour les sakés de type Kimoto, les plus traditionnels.

Développement des notes épicées et caramélisées

À des températures plus élevées (50-55°C), certains sakés révèlent des arômes de noix, d’épices et de caramel, ce qui les rapproche des caractéristiques d’un whisky ou d’un sherry. Pour goûter ces merveilles, tournez-vous vers les Koshu et faites-les chauffer.

Équilibrage de la sucrosité

Ce n’est pas le plus courant, mais un saké légèrement sucré devient plus équilibré une fois chauffé, car la chaleur adoucit la perception du sucre en renforçant les notes maltées et céréalières. Attention toutefois, il peut vite devenir lourd en bouche et écœurant.

Saison et température extérieure

Cela n'étonnera personne, mais il est aussi à noter qu’un saké consommé chaud est très appréciable lorsqu’il fait frais… et vice-versa. Les japonais apprécient notamment les sakés frais de types aromatiques, tels que les Ginjo et les Daiginjo, en été. En hiver, ce sont les sakés de corps qui sont plébiscités. Quel bonheur de consommer un saké chaud alors que tombe la neige autour de soi… La température de dégustation, c’est aussi une histoire de saison !

Expérience sensorielle et tradition

L’aspect rituel et social de la dégustation du saké chaud.

Chauffer son saké est un petit rituel en soi. On y consacre plus de temps, et son service demande plus d’équipement. S’il n’existe pas à proprement parler de cérémonie de dégustation du saké, à l’instar de celle du thé, le service du saké chaud peut se révéler complexe et nécessite un minimum d’expérience. Il faut à la fois surveiller la chauffe et participer aux conversations… tout un challenge pour ceux qui n’ont pas le bon équipement !

Les différentes techniques pour chauffer son saké

Le bain-marie 

S’il existe différentes méthodes pour chauffer le saké, nous ne pouvons que vous conseiller la technique du bain-marie.

Les Japonais utilisent traditionnellement des Yukan (céramiques pour chauffer le saké). L’eau chaude est versée dans un récipient, puis le saké est placé dans un tokkuri (carafe à saké) qui est immergé dans l’eau chaude. Il existe des versions électriques (difficiles à trouver en Europe) ou traditionnelles, qui nécessitent de chauffer l’eau au préalable.

Yukan : la céramique principale contient l'eau chaude, le tokkuri (=carafe) qui contient le saké est immergé dedans.

Vous pouvez également utiliser des bouilloires portables ou des chauffe-biberons. L’important est de le chauffer de façon homogène… et de ne pas oublier de remplacer la carafe par le biberon avant de nourrir bébé.

L’utilisation du micro-ondes : bonne ou mauvaise idée ?

Tant pis pour l’image et la tradition : de nos jours, certains établissements réchauffent le saké au micro-ondes, certains appareils disposant même d’une fonction spéciale au Japon. Si, à l’aveugle, il est parfois difficile de faire la différence, les vrais amateurs préféreront toujours le bain-marie, qui permet de chauffer doucement et de maintenir la température plus longtemps.

En France, l’utilisation du micro-ondes est déconseillée. La température n’est pas maîtrisée et le saké ne chauffe pas de façon homogène. Il existe néanmoins des tokkuri adaptés à la chauffe au micro-ondes. Mais si votre micro-ondes n’a pas d’option “saké”, passez votre chemin.

L’utilisation d’un Tokkuri et d’un Yuzamashi

Pour le chauffer au bain-marie, rien ne vaut un bon Yukan. Mais faute d’équipement, optez pour un tokkuri immergé dans une casserole d’eau chaude. Il en existe de nombreux formats avec des contenances variées. Le choix est vaste au Japon et tout à fait suffisant en France.

Pas de tokkuri ? Pas de problème ! N’importe quel récipient résistant à la chaleur fera l’affaire.

Pour refroidir votre saké (quelle idée…), vous pouvez également utiliser un Yuzamashi, initialement conçu pour diminuer la température du thé.

Tokkuri et hirahai
Tokkuri et hirahai (coupes pour consommer le saké chaud)

À quelle température chauffer son saké ?

Souvent, lorsque l’on parle de chauffer le saké, ceux qui le découvrent s’imaginent que l’on parle d’un saké chambré (tiède ou à température ambiante). Nous l’avons vu, le saké se chauffe au bain-marie et peut atteindre des températures élevées.

Il n’y a pas de température idéale pour le saké : cela dépend du type de saké et des préférences du consommateur.

Les sakés traditionnels, conçus pour être consommés chauds, supportent bien une montée en température. Les Japonais ont même une échelle de température spécifique, avec un qualificatif différent pour chaque palier. Celle-ci va de 30°C à 55°C pour le saké chaud, et de 5°C à 15°C pour le saké frais.

Saké légèrement tiède (Hinatakan – 30°C et Hito hada kan - 35°C), qui confère au saké des saveurs subtiles et douces. Saké tiède (Nurukan – 40°C et Jo kan - 45°C) Saké chaud (Atsukan – 50-55°C), accentue la personnalité du saké, le rend plus expressif. Saké très chaud (Tobikiri kan - 55°C)

Saké légèrement tiède (Hinata-kan – 30°C et Hito hada kan - 35°C), qui confère au saké des saveurs subtiles et douces.

Saké tiède (Nuru-kan – 40°C et Jo kan - 45°C)

Saké chaud (Atsu-kan – 50-55°C), accentue la personnalité du saké, le rend plus expressif.

Saké très chaud (Tobikiri-kan - 55°C)

Les températures extrêmes de chauffe du saké

Certains sakés, certes particuliers, supportent une montée en température encore plus extrême. Le Yama, le Genshu… et tous les sakés d'Umetsu Shuzo peuvent être chauffés jusqu'à 70°C avant d'être consommés. La température chutant vite une fois servie, cela permet aux amateurs de le déguster aux alentours de 60°C, le seuil avant de se brûler la langue. Et surprise… c’est un délice.

Mais, inévitablement, lorsqu'on mentionne de telles températures, une question surgit : le saké perd-il son alcool lorsqu’on le chauffe ?

L’alcool du saké s'évapore-t-il quand il est chauffé ?

Sous une pression atmosphérique normale (1 atm), l’alcool s’évapore à 78,5°C. Mais :

  1. Il peut commencer à s'évaporer lentement à des températures plus basses, même à température ambiante, surtout si le liquide, en l'occurrence le saké, est exposé à l'air.

  2. L'alcool ne disparaît pas immédiatement à 78,5°C ; il s'évapore progressivement en fonction du temps et de l'exposition à la chaleur.

Ainsi, un saké chauffé ne perdra pas son alcool, ou du moins, en perdra très peu. Cette légère évaporation sera compensée par la montée en température qui facilite la digestion de l’alcool et en accélère les effets. La sensation d’ivresse sera plus rapide que lorsque le saké est consommé frais. Cela peut paraître paradoxal, mais les effets étant immédiats, le consommateur aura plus de facilité à gérer sa consommation. En revanche, lorsqu’un alcool est ingéré frais, les effets tardent à se faire sentir, ce qui pousse à une consommation plus importante avant d'être réellement conscient de son ivresse.

Les erreurs à éviter en chauffant son saké

Choisir le mauvais type de saké

Une erreur courante chez les amateurs de saké chaud est de choisir le mauvais type de saké. Une erreur qu’il faut accepter, car, sans la commettre, on risque de passer à côté de belles découvertes.

Généralement, il faut éviter de chauffer les sakés aromatiques aux parfums fruités, typiquement les Ginjo et Daiginjo. Plus précisément, il est conseillé d’éviter les sakés riches en caproate d’éthyle, un ester qui confère des notes de pomme, d’ananas ou de fruits exotiques. Ce composé est particulièrement présent dans les sakés modernes de type aromatique. Typiquement, ne chauffer ni le Yuino ka, ni le Okaseikai...qui sont par ailleurs excellents frais.

Toutefois, rares sont les règles sans exceptions dans le monde du saké. Il arrive qu'un saké aux arômes délicats résiste étonnamment bien à la chaleur, évoluant vers un profil différent mais tout aussi agréable. Un conseil : prélevez une petite quantité de saké et testez-le chauffé. Cela vous aidera à mieux comprendre les profils qui supportent la chaleur et à faire de belles découvertes.

Ne pas surchauffer le saké

Une autre erreur majeure est de trop chauffer le saké, voire de le faire bouillir. Comme mentionné précédemment, la meilleure technique reste le bain-marie. Poser le récipient (en métal ou en céramique) dans une casserole d'eau chaude est idéal. Il est important que la chauffe soit progressive : si l'eau est froide et chauffe en même temps que le saké, ce dernier risque de bouillir. La meilleure méthode est donc de plonger le récipient dans de l'eau chaude, mais non bouillante.

Pour éviter tout risque, vous pouvez aussi faire bouillir de l’eau, couper le feu, puis plonger le saké dans l’eau chaude. Si vous n'avez pas de thermomètre, fiez-vous à un signe simple : lorsque le saké commence à fumer légèrement, il est prêt à être dégusté.

Utiliser un récipient inadapté

Pour chauffer le saké au bain-marie, il est préférable d'utiliser un récipient adapté. Un tokkuri est idéal, car il respecte à la fois la tradition et le produit. Un Chirori est excellent également, car il permet de réchauffer plus vite le saké. Cependant, n’importe quel contenant en céramique ou métal peut faire l'affaire.

Le verre est à éviter s’il est trop fin ou en cas de choc thermique important. Il est également déconseillé de chauffer toute la bouteille. Si certains sakés supportent bien les variations de température, d'autres pourraient être altérés. Mieux vaut chauffer uniquement la quantité que vous prévoyez de boire.

Quels plats accompagner avec un saké chaud ?

Le saké est un véritable caméléon : il s’adapte harmonieusement aux plats qu’il accompagne, mettant en valeur leurs saveurs tout en restant discret. À l’inverse, il peut aussi équilibrer des mets aux arômes marqués. Chaque saké possède ses propres caractéristiques, rendant chaque association unique. Bien qu’il s’accorde naturellement avec la cuisine japonaise comme les sushis, les sashimis et le poisson grillé, il serait dommage de s’y limiter !

Dîner lors de l'OSAKE TOUR à la brasserie Umetsu shuzo, le Nabe : un plat qu'accompagne à merveille le saké chaud.

Charcuterie et fromage se marient aussi à merveille avec le saké. Contrairement aux idées reçues, mieux vaut éviter les plats à base de riz, déjà présents dans la composition du saké… Mais cela ouvre un champ infini de possibilités.

Les accords mets et sakés sont avant tout une expérience personnelle. Pour explorer cet univers, il est utile de se poser une question clé : souhaitez-vous sublimer les saveurs d’un plat ou, au contraire, apporter un équilibre en contrastant les arômes ?

Dans le premier cas, les sakés aromatiques et légers se marient à merveille avec des asperges, des amandes, des poissons fins comme la daurade ou encore des truffes. Ils accompagnent également très bien les fruits de mer.

Les sakés plus structurés, moins aromatiques et plus secs, s’intègrent facilement aux repas. Pour les mettre en valeur, privilégiez des ingrédients riches en nucléotides et en acides aminés, comme les champignons ou les tomates.

Et surtout, n’oubliez pas le fromage ! Un vieux comté, avec ses cristaux de sel, peut offrir une alliance exceptionnelle avec certains sakés. Enfin, pour le dessert, un koshu aux notes torréfiées sublimera des douceurs crémeuses comme un tiramisu ou un fondant au chocolat.

Et ce n’est que le début, car tous ces principes peuvent être poussés davantage encore avec le jeu des températures…

Quelques règles générales

Voici 3 règles pour vous guider dans le jeu des températures.

  1. Harmoniser la température du saké et du plat : Cela permet d’éviter un choc thermique en bouche et d’apprécier pleinement les saveurs.

  2. Opter pour un saké tiède avec les plats riches : Les yakitori, les tempura, le nabe au Japon ou les viandes blanches en France se marient parfaitement avec un saké légèrement chauffé.

  3. Associer un saké chaud aux plats puissants : Viandes rouges, plats en sauce, plats mijotés… Un saké chaud, surtout s’il est robuste et affirmé, saura tenir tête aux saveurs intenses. Les sakés d’Umetsu, les sakés de Chikusen ou les koshu sont particulièrement adaptés.

Conclusion

Faire chauffer son saké peut sembler déroutant pour nous Français, mais c’est une expérience incroyable qui ouvre de nouveaux horizons gustatifs. Une fois les températures maîtrisées, plus aucun plat ne pourra résister à son accompagnement au saké. N’hésitez pas à faire des essais chez vous, à sortir des sentiers battus et à nous faire part de vos expériences, qu’elles soient réussies ou surprenantes ! Kanpai !

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